La première paire

Ce soir, je suis allongée.
J’écoute la pluie, j’écoute vos souffles et le brouhaha lointain de la rue.
La lumière orangée de la vieille lampe soixante donne à cette journée un petit aspect vieilli.
Elles sont posées là sur la petite table et je les regarde, un peu émue.
Je me sens un peu plus âgée aujourd’hui.
Il pleut depuis des jours et cette petite paire posée là farfouille dans mes émotions.

Tout est calme ce soir.
Le ronron de la rue, de la pluie et des chats m’apaise.

Sur la petite table au plateau de marbre sont posées tes chaussures.
Ta première paire.
Elles sont neuves et brillantes.
La trace de tes pas ne les ont pas encore marquées.
Je ne pensais pas, un jour, être émue par ces petits accessoires.
Par la banalité du quotidien.
Je me plait à les imaginer enfermées dans une petite boite.
Déballées comme une relique lorsque tu auras mon âge.
Elles seront le souvenir de tes premiers pas.

C’est le début de ta vie debout que je contemple ce soir.
Ta vie sera faite d’allées et venues.
De chutes, de trébuchements qui coloreront cette petite paire.
Ta vie sera aussi faite d’appuis qui te relèveront.
Tu courras, tu sauteras.
Tu danseras peut-être.
Ta vie te fera faire les cent pas.

Tu marcheras encore et toujours même quand je ne serai plus là.

Cette petite paire posée sur la table m’émeut.
Elle marque matériellement ta propre vie.
Celle où tu décideras d’aller où bon te semble.

J’aime voir le temps avancer.
J’aime te voir grandir, te redresser et choisir ton chemin.
Cette petite paire de chaussures étincelante de nouveauté me gonfle le coeur.

Elle me rend un peu plus vieille.
Elle te rend un peu plus vieux.

Le début d’une vie à la verticale.